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L’histoire de Thomas Edison, le célèbre inventeur, est un exemple captivant de la créativité humaine. Son parcours exceptionnel, marqué par la création de plus de 1000 brevets et la fondation de la General Electric, met en lumière l’importance de la créativité dans l’innovation. Cependant, il est étonnant de constater que la créativité, cette qualité intrinsèque à certains individus, a rarement été évaluée dans nos systèmes éducatifs occidentaux. Aujourd’hui portée aux nues dans le monde professionnel, elle questionne notre capacité à l’évaluer, à la stimuler et à la valoriser dans nos écoles.
Thomas Edison, de l’échec à la reconnaissance
Lorsque le père de Thomas décide de s’installer dans le Michigan, pour y prendre un emploi de charpentier, il n’imagine pas encore que son fils va lancer le premier journal créé à bord d’un train qui relie sa ville à Detroit. Lorsque ce dernier se fait renvoyer de son école au bout de 3 mois, personne ne prendrait le pari qu’il deviendra le plus grand inventeur de l’histoire moderne, déposant plus de 1000 brevets. Sa mère, qui prendra en charge son éducation, développant chez lui un goût pour la lecture sans égal, lui permettra d’installer au sous-sol un laboratoire de chimie dès ses 10 ans, ne peut prévoir que le jeune Edison créera l’une des plus grandes entreprises mondiales, la General Electric, après avoir développé tout ce que l’électricité pouvait changer dans la vie des gens. Une ampoule est encore symbole graphique de ce qu’est une idée. Merci Thomas !
La créativité de Thomas Edison n’a jamais été évaluée, et ce n’est pas du tout une exception. Au contraire, les modèles d’enseignement du monde occidental ont très peu investi sur ce sujet. Enseigner, c’est apprendre à l’autre. C’est sans aucun doute transmettre ce que l’on sait déjà. Certes les enseignants sont témoins de la créativité de leurs élèves ou de leurs étudiants, certes ils aiment à diverger par instants de la ligne du livre, mais c’est très récemment que l’on s’intéresse aux esprits créatifs et que l’on s’interroge sur les modalités d’évaluation de ceux qui sont suffisamment « originaux » pour envisager le monde « autrement ». Curiosité de notre système éducatif mis à la disposition des industries depuis le milieu du 19ème siècle : alors même que l’innovation repose sur la capacité à créer quelque chose de nouveau, il semble peu utile de distinguer celles et ceux qui sont ouverts à la nouveauté. Cela trouve sans doute sa justification dans le modèle d’éducation quasi universel bâti sur l’imitation (du maître) et la sanction (physique jusqu’au 20ème siècle), tel que le décrit Jacques Attali dans « histoire et avenir de l’éducation ».
Les relations obscures entre intelligence et créativité
Il existe plusieurs types d’évaluation de l’intelligence mais celle qui fait encore référence est le fameux QI, avec l’échelle de Wechsler. Il se trouve qu’un des subtests proposés considère la logique inductive. Le raisonnement inductif, qui part de l’observation, s’efforce de combiner les faits pour imaginer une conclusion qui peut, parfois, déboucher sur une théorie. Il s’agit bien sûr d’un processus créatif. Or, ce qui est frappant est que la logique inductive n’est ni stimulée ni évaluée dans notre système scolaire, du moins jusqu’au bac, même dans les disciplines scientifiques. C’est pourtant le quotidien des enseignants-chercheurs au sein des laboratoires universitaires.
Pourquoi cette soudaine admiration pour la créativité ?
L’étude de la créativité : une science très récente
C’est la psychologie moderne qui met en évidence cette « qualité » intrinsèque de certains individus. En réalité on ne tente de comprendre comment se développe cette faculté que très récemment.
Ainsi Sternberg a écrit sur ce sujet quelques papiers qui ont changé sa compréhension entre 1999 et 2006. Notamment, il pose comme axiome que la créativité dépend de « six ressources distinctes mais interdépendantes : les capacités intellectuelles, les connaissances, les styles de pensée, la personnalité, la motivation et l’environnement« . Pour la première fois, le développement de l’enfant n’est pas uniquement étudié sous l’angle du cognitif, mais prend en compte la dimension sociale de son parcours. Ainsi, « des études réalisées par une série de chercheurs influents sur la créativité en Angleterre mettent fortement l’accent sur les espaces ouverts, exploratoires et collaboratifs, qui sont essentiels pour favoriser la créativité (Jeffrey & Craft, 2004 ; Cremin et al., 2004) ».
En Angleterre, le très influent Sir Ken Robinson, qui a présidé la NACCCE pour la reconnaissance de la créativité comme élément clé de la réussite, est un promoteur engagé d’une définition assez claire de ce que met en jeu ce concept :
Le processus créatif implique toujours une pensée ou un comportement imaginatif.
L’activité imaginative est, dans l’ensemble, utile, c’est-à-dire qu’elle est orientée vers la réalisation d’un objectif.
Les processus créatifs doivent générer quelque chose d’original.
Le résultat de ce processus doit avoir une valeur par rapport à l’objectif
Dans tous les cas, le processus créatif engendre une forme de contenu. Ce contenu est jugé créatif selon un contexte particulier, ce qui signifie qu’il donne lieu à une interprétation culturelle. En conséquence, non seulement la pédagogie déployée en direction des apprenants aura un impact direct sur leur « créativité », mais l’évaluation que l’on pourra en faire sera également dépendante de la « culture » de l’enseignant. On pourra être créatif ici, et jugé plus conformiste ailleurs, pour la même idée. Pour autant, la majorité des travaux de recherche s’accorde sur l’idée que la créativité doit être appréhendée selon un équilibre entre l’originalité et la valeur.
Au départ donc, est l’imagination. Cédric Villani, le célèbre mathématicien français récompensé par de nombreux prix, dont la médaille Fields reçue en 2010, le confirme « Vous savez, l’imagination est la première qualité en mathématique… toute votre carrière de recherche, on la jugera sur la capacité que vous avez eue à imaginer des choses que les autres n’ont pas vues. » Il cite Henri Poincaré : « C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons ».
À ce stade, pas d’évaluation réelle. Ce qui peut être évalué arrive en deuxième lieu : l’intérêt de l’objectif puis la valeur du résultat. « Au départ, il y a souvent une impulsion, un concept, une vision ; cela peut être un éclair, et il faut des années pour l’approfondir. Parfois en vain, parfois avec succès. » nous dit Cédric Villani.
Intuitif, touche-à-tout, autodidacte, Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce, a toujours pensé out of the box. « S’interroger, cela ne vaut-il pas mieux que de marcher au pas ? » demande-t-il dans son essai au titre provocateur Théorie du Bordel ambiant 1990. Il n’a eu de cesse d’expliquer la difficulté de monnayer les innovations, c’est-à-dire d’en faire reconnaître la valeur ajoutée. C’est pourquoi il a créé, dès 1972, Innovatron, une entreprise dont l’objectif est « de vendre des idées ».
Changement de regard : la créativité créatrice de valeur
En 2012, l’Union Européenne dans un rapport intitulé « Education et formation 2020 », indique qu’elle doit être un objectif central des programmes éducatifs. Elle invoque l’implication de l’apprenant dans le processus et explique que : « la créativité est comprise non seulement en termes d’exposition à l’effort artistique et imaginatif, mais aussi comme contribuant à la qualité et à la capacité de réflexion des enfants, ainsi qu’à leur persévérance et à leur aptitude à résoudre les problèmes… ».
On retrouve ici une définition classique de l’évaluation des compétences dans l’enseignement supérieur, à savoir, la résolution de problèmes complexes. Pour autant, il faut souligner que plusieurs études menées récemment dans différents pays d’Europe tendent à montrer une érosion de la créativité chez les apprenants, comme si l’on hésitait sur la valeur réelle de cette capacité censée faire la différence, comme en témoigne l’étude de Mike Blamires et Andrew Peterson.
Pourtant dans son ouvrage « La valeur des idées » en 2007, de Brabandère, nous explique que la créativité provient de la volonté de deux changements simultanés. Un changement de perception du monde, et un changement pour le monde, doivent se rencontrer dans le processus créatif. La valeur créée ainsi est incontestablement plus élevée que celle issue d’un apprentissage formel. Cette valeur résulte de la mise en commun, au service de l’idée, de plusieurs facteurs : cognitifs, conatifs, émotionnels et environnementaux.
Évaluer la créativité : un défi multidimensionnel
L’analyse multifactorielle semble incontournable dans une évaluation de la créativité.
Le cognitif est certainement l’élément le plus à même d’être évalué aujourd’hui, puisqu’il concerne la compréhension du problème, la capacité à l’envisager autrement et à comparer les différentes solutions envisagées, tout en mobilisant les connaissances acquises.
Le conatif décrit en revanche, les aspects de la personnalité de chacun, comme par exemple, l’aversion au risque, la persévérance ou la tolérance de l’ambiguïté. Selon nos différences, nous développerons plus ou moins fortement notre capacité à créer autre chose.
Nulle ne doute plus de l’importance de l’intelligence émotionnelle pour notre compréhension du monde et de nos semblables. Il est évident que nous devrions tester, évaluer et faire progresser cette compétence chez tous les apprenants. De nombreux tests ont été mis au point en ce sens ces dernières années, en liaison avec les études de neurosciences mettant en évidence le fonctionnement de notre cerveau.
Enfin, la dimension culturelle, qu’elle soit locale, au sens de la famille ou du groupe social ou plus globale, au sens de la nation, du langage ou de la religion, par exemple, impacte profondément la créativité de tous.
En amont de l’évaluation à proprement parlé de la créativité, il semble évidemment nécessaire de repérer les profils créatifs, de les valoriser et de les « challenger ». Le croisement de différents tests utilisés en orientation, tels que celui reposant sur le Théorie des Intelligences Multiples d’Howard Gardner, ou encore l’Inventaire des Intérêts Professionnels de John Holland, permet de faire la lumière sur les multiples aspects comprenant l’analyse de la personnalité, de l’intelligence émotionnelle et prend en compte les préférences d’environnement de l’individu pour pouvoir exprimer sa créativité.
L’appréciation du processus créatif est la valeur du résultat produit. Ce qui conduit à s’interroger sur la capacité d’expression de l’individu pour valoriser sa création. Passer de la conception à la réalisation.
« Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément. »disait déjà Boileau dans L’Art poétique, en 1674.
Il est frappant, lorsque l’on conseille de jeunes lycéens sur leur orientation, de constater leur appétit pour les métiers créatifs. Pourtant, peu d’entre eux ont les moyens d’expression à la hauteur de leur imagination. Or, les établissements d’enseignement à la recherche de profils créatifs vont essayer de les évaluer à partir de leurs productions … dans le meilleur des cas (sans parler de la sélection réalisée uniquement sur les notes).
Ces moyens d’expression sont très divers et évolutifs, donc difficiles à évaluer par les enseignants qui peuvent être obligés de pratiquer des grilles standardisées. Quelques exemples sur les quatre types de profils créatifs.
Hier poètes, écrivains ou journalistes, les littéraires sont aujourd’hui revalorisés après une longue traversée du désert, puisqu’il s’agit souvent d’intervenir en « production de contenu ».
Les profils artistiques peuvent toujours s’exprimer par la musique ou la peinture, mais plus probablement par un mixage des techniques pour réaliser des « installations » qui ont pour objectif de bouleverser notre perception de l’espace.
Les scientifiques vont utiliser les mathématiques, l’informatique, l’IA pour donner toute la puissance à leur imagination.
Quant aux profils techniques, c’est grâce à leur maîtrise des matériaux et des outils numériques qu’ils vont pouvoir donner vie à leurs projets.
Beaucoup de ces compétences ne sont pas des disciplines enseignées dans notre système scolaire…
L’importance de l’équité dans l’évaluation de la créativité
Être équitable dans une évaluation de la capacité créative des étudiants, exige dès lors, de prendre en compte ces facteurs de différence, afin de moduler la réponse. Les softs skills sont désormais partie intégrante des programmes de formation dans l’enseignement supérieur, et faut-il le rappeler, le ministère vient de motiver les enseignants à promouvoir l’empathie dès l’école primaire. On le comprend, c’est en ne négligeant plus ce qui nous construit en tant qu’individu unique, que l’on devra évaluer nos compétences les plus fines.
Évaluer la pensée créative est tout à fait réalisable, à cette condition. Pour cela il ne faudrait pas être tenté de freiner ou de contrôler les jeunes à « haut potentiel » au prétexte qu’ils ou elles développent un peu trop aisément des « pensées divergentes ».
Vers une évaluation de la pensée créative
Ainsi, si les tests de positionnement croisés, type bilans d’orientation ou bilans de profilage, peuvent permettre de repérer les profils créatifs, l’enseignement supérieur pourrait par ailleurs, évaluer le processus créatif. Sans aucun doute plus conforme aux modalités d’évaluation actuelles, il s’agit alors de suivre, étape par étape, les progrès de l’apprenant dans sa maitrise d’un processus. Une fois les étapes connues et comprises, il lui reste à faire preuve de méthode, et d’au moins une idée. Rappelons ici les principales étapes :
Analyse préliminaire des éléments du problème à résoudre ;
Incubation ou exploration des pensées divergentes ;
Illumination ou choix d’une idée qui semble naturellement s’imposer ;
Vérification que l’idée choisie répond correctement au problème de départ.
En design thinking, ce type de processus est couramment employé lors de séances collectives. En effet, il est établi que l’intelligence collective autorise une plus grande divergence, une exploration plus large du champ des possibles alors même que notre conscience individuelle agite trop souvent le drapeau rouge de l’auto-censure. Nous sommes plus créatifs à plusieurs, ce qui nous vient de notre intelligence sociale ou de notre capacité d’adaptation chère à Darwin .
L’évaluation par les pairs est alors une opportunité qui s’offre à l’enseignant, de jauger la créativité au sens de la valeur créée. Là encore, tout dépend de l’objectif souhaité pour l’apprenant. Doit-on développer sa capacité à suivre un processus créatif ou souhaite-t-on développer chez lui une créativité qui fera la différence au sein d’un collectif ?
L’évaluation de la créativité pour l’innovation future
Évaluer, c’est donner la possibilité de progresser. En termes de créativité, le progrès est-il concevable sans l’acceptation par les autres d’une certaine originalité individuelle?
Soyons certains que Thomas Edison nous aurait éclairés sur ce point, de son génie créatif !
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