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Sebastien Abdi

Université et diversité : de l’oxymore à l’évidence !



Lorsque l’on voyage en France, comme en Europe, impossible de ne pas associer chaque grande ville traversée avec son université. C’était déjà le cas, avant les classements internationaux, avant que nos regards se tournent vers les Etats-Unis et leur modèle de grands noms tels Harvard, Stanford ou UCLA ou encore le MIT, ou vers l’Orient et l’émergence de nouvelles références du savoir. Partout dans le monde, les sciences, la recherche et l’effervescence intellectuelle sont depuis longtemps intimement liées au monde universitaire. Un modèle de concentration des savoirs et de partage ouvert devenu universel et porteur du progrès de l’humanité.

Mais cette ouverture est-elle réelle ? Est-elle aujourd’hui compatible avec notre volonté de représentation de la diversité, de l’inclusion alors même qu’elle a longtemps été perçue comme le refuge des élites ?

Il fut un temps où l’université était un concept symbolique désignant un ensemble, une réunion de collèges, d’instituts, peuplé d’enseignants et d’apprenants. Sans qu’il soit question alors de campus ou de territoires, l’université était lieu de partage du savoir théorique. Théologie, philosophie, puis médecine et science physique, les enseignements sont eux aussi universels. En Europe, ils sont surtout contrôlés et convergent autour d’une pensée unique, dictée par les religieux, détenteurs et propagateurs du savoir divin. C’est au début du second millénaire après Jésus-Christ que se forment les premières universités européennes, à Bologne, à Paris, puis à Oxford. Ailleurs dans le monde et bien avant, la première université est créée à Constantinople en 425, tandis que d’autres voient le jour en Inde, au Maroc, ou encore en Iran. Dès leurs débuts, les universités rassemblent. Certes elles sont la maison des élites, des penseurs, et des religieux, mais elles ont d’abord vocation à accueillir ceux qui souhaitent s’élever. Premier constat d’époque : les universités sont strictement réservées aux hommes et évidemment à ceux qui ont les moyens de les fréquenter. Deuxième constat : les dirigeants des nations européennes ne sont pas très favorables à leur développement, craignant l’émancipation de la population qui accédant au savoir pourrait bien les renverser. Ainsi Louis XIV et Louis XV ont-ils interdit l’ouverture de nouvelles universités en France, tandis que les jacobins sous la révolution française fermaient l’université de Paris, bien trop catholique à leurs yeux. Ailleurs, les exclus d’Oxford fondèrent Cambridge, tout comme les bannis de l’université de Paris se réfugièrent outre-manche pour y fonder Oxford !

Pendant des siècles, les « sachants » ont cherché et obtenus le soutien et la protection des puissants, lesquels les ont invités à rester sagement dans leurs communautés, loin de tout contact avec le peuple. Aujourd’hui, l’université est un lieu d’ouverture à toute la connaissance, propice à la recherche, et indispensable à l’éducation, à la formation et à l’élévation culturelle des populations du monde entier. Pas un mouvement de contestation, pas une révolution sociale ou politique qui ne trouve son origine dans le foisonnement des idées du monde universitaire. Symbole de la jeunesse qui pense et qui s’exprime, elle est aussi une ruche pour les chercheurs.

Pourtant, l’université dont nous espérions tous qu’elle permette le bon fonctionnement de l’ascenseur social est rapidement apparue comme très favorable aux classes aisées, à la reproduction d’un modèle social bourgeois, aussi bien en Europe qu’ailleurs, mais sans aucun doute plus encore aux Etats-Unis où les frais d’inscription sont prohibitifs. Alors que dans les années 60, il a fallu introduire une loi fédérale pour que la diversité raciale et sociale soit admise dans les campus nord-américains, les problèmes d’inclusion de tout genre sont également révélées un peu partout. Mixité sociale, accueil du handicap, égalité des chances, et même égalité de traitement dans l’accès aux responsabilités dans les gouvernances, tout est désormais une question d’acceptation de la diversité.

En Floride, le gouverneur républicain Ron DeSantis a signé le 5 mai 2023 dernier des lois pour mettre un terme aux programmes sur la diversité dans les universités publiques. Au prétexte que loin de garantir une équité de traitement, la diversité favorisait davantage « un programme idéologique […] et devraient plutôt s’appeler Discrimination, Exclusion et Indoctrination ».

Ailleurs, on s’interroge sur la capacité à maintenir un niveau d’excellence dans les formations et les diplômes délivrés si l’université devenait « trop accueillante ». Désormais le clivage entre ceux qui pensent que l’université doit permettre la stricte transmission des savoirs et ceux qui osent imaginer qu’elle tienne un rôle majeur dans l’accès à la connaissance pour tous, devient plus évident et même plus inquiétant. Dans un article publié par Le Devoir en début d’année, le professeur en sciences politique de l’UQAM, Francis Dupuis-Déri, nous rappelle qu’au lieu de nous inquiéter que « le Fonds de recherche du Québec demande aux candidats de bourses doctorales de réfléchir à l’enjeu de la diversité dans leur projet » ou encore « que la nouvelle présidente de l’Université Harvard, la politologue Claudine Gay, ait été choisie — dit-on — parce qu’elle est afro-américaine d’origine haïtienne, alors que son dossier universitaire ne serait pas à la hauteur pour ce poste », nous devrions nous féliciter de ce que « la diversité a tendance à favoriser les innovations dans la recherche et l’enseignement » comme le montre des travaux de certains chercheurs.

Ainsi la diversité est-elle vue de… diverses manières !

Elle fait, par exemple, l’objet d’un plan « inclusion et diversité » à l’Université Paris 8 Vincennes- Saint-Denis, implantée au cœur du Grand Paris, ainsi qu’elle aime à se présenter. « Elle porte une vision basée sur la réponse aux enjeux contemporains par des approches alternatives, critiques, créatives, innovantes, inclusives et solidaires en matière de formation et de recherche. Fortement engagée pour répondre aux défis actuels, elle favorise des liens étroits entre le monde académique et la société civile à toutes les échelles qui permettent l’émergence d’approches et de projets innovants. » On apprend dans ce plan que l’université accueille plus de 21% d’étudiants domiciliés dans des Quartiers Prioritaires de la Ville (QPV) mais aussi quelques 500 étudiants provenant de la « ruralité » ou encore à peu près autant en situation de handicap (soit 1,8% des 22 863 étudiants dont 7000 étrangers). Mais son engagement est aussi lisible dans les programmes proposés comme par exemple, un Master d’étude sur le genre, un Master diversités et discriminations, et un diplôme universitaire violences faites aux femmes.

L’exemple récent de la relative « démocratisation » de Sciences Po, dont les mesures d’ouvertures à des étudiants de toutes classes sociales datent déjà de plus de 20 ans, souligne que la diversité souhaitée ou affichée par beaucoup n’est pas encore pour aujourd’hui. L’université universelle est toujours en construction. Alors que le milieu du 20ème siècle ouvrait de nouvelles perspectives, la chercheuse et autrice Agnès Van Zanten, précise : « Les chercheurs font tous le constat d’un arrêt de la démocratisation toute relative de l’accès aux grandes écoles qui a eu lieu entre les années 1930 et les années 1960. À partir des années 1970, on remarque plutôt une fermeture. Et les travaux plus récents de plusieurs économistes de l’École d’économie de Paris, dont Julien Grenet4, observent une stabilité très grande en ce qui concerne la proportion d’enfants des milieux populaires dans ces établissements, qui se situe entre 9 et 10 %, au cours des dernières années. »

Malheureusement la diversité est un long chemin, y compris dans le monde universitaire, ou rappelons-le, comme ailleurs, « des études montrent qu’on évalue plus généreusement la candidature d’un homme que d’une femme, sans oublier les biais racistes ».

Un jour prochain, les universités en France et dans le monde, seront réellement universelles. Elles y parviendront en acceptant la diversité à tous les niveaux pour leur plus grande richesse.


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